Du 27 au 31 janvier 2015, le FERULg (Femmes et recherches de l'Ulg) organisait un colloque ambitieux sur le thème « Femmes et santé » : une semaine de conférences et d'ateliers, une quarantaine d'intervenant-e-s, des sujets diversifiés.
Nous, collaboratrices du magazine C4, membres du collectif Contre/Bandes (contrebandes.org), et surtout... femmes... avons décidé de ne pas assister passivement au colloque et d'en proposer des échos sur le blog de « l'Entonnoir ».
Il ne s'agissait pas de rédiger des compte-rendus abrupts dans un style académique, mais bien de raconter chacune les moments du colloque auxquels nous avons choisi d'assister à partir de ce que nous sommes, de ce que nous pensons, de ce qui nous taraude ou de ce qui nous fâche, de ce qui nous interpelle, de ce qui nous émeut, de ce qui nous agite, de ce qui nous meut.
Des récits subjectifs de femmes. Des échos critiques, parfois intimistes, voire les deux à la fois, qui s'inscrivent au cœur de réflexions et de pratiques dépassant largement le cadre des murs de l'Institut de zoologie où se tenait le colloque, des réflexions et des pratiques ancrées dans la vie-même, celle de tous les jours, celle des femmes et de leurs corps.
« D'une certaine gaieté » remercie chaleureusement le FERULg pour les facilités d'accès qui nous ont été aimablement accordées.
J’entre dans la salle d’attente du cabinet gynécologique où des haut–parleurs diffusent des berceuses interprétées grossièrement. Une étagère bien éclairée exhibe de multiples faire-parts de naissances. J’ai plus de trente ans, je suis en couple, je n’ai pas d’enfants, et ne désire pas en avoir pour l’instant, mais cela ne va pas toujours de soi dans une époque où la maternité reste magnifiée.
Féministe et militante, j’ai déjà réfléchi à plusieurs reprises sur les enjeux qu’il y a autour du corps des femmes, leur instrumentalisation et leur contrôle. Mais il y a toujours un fossé entre la théorie et la pratique. Aujourd’hui, mon âme de curieuse va éprouver mon corps de patiente. La gynécologue m’accueille chaleureusement. Je lui expose l’objet de ma visite : « Je souhaite arrêter la contraception hormonale et installer un stérilet. » Son sourire s’efface : « Vous êtes vraiment sûre de ne pas vouloir d’enfants ? C’est un choix irréversible ? »
Alors là je tombe des nues ! Je pensais consulter pour un contraceptif pas pour une stérilisation !
Devant ma réaction étonnée, elle m’explique savamment : « Je ne vous conseille pas le stérilet en cuivre car les risques d’attraper une infection des trompes pouvant entrainer une stérilité sont fortement augmentés. »
A partir de ce moment-là elle commence son prêche médical dans tout ce qu’il peut contenir de jugeant et d’inexact. Ma confiance et ma sagacité flanchent, et lui laissent le champ libre.
En mon for intérieur, je me dis : « elle ne me demande même pas si j’ai un partenaire régulier ou si j’ai des rapports protégés, ce qui diminue vachement les risques de contamination avec ou sans stérilet». Mais comme une enfant je reste muette devant l’autorité en blouse blanche, et pourtant j’aurais tellement envie de lui dire : « Chère madame la science, je vous rappelle que le contraceptif hormonal logé dans mon vagin contient en ce qui le concerne des risques de thromboses veineuses ou artérielles (rien de moins qu’un AVC). D’ailleurs ces risques là, vous ne m’en avez jamais parlé … »
Deux produits, deux « imaginaires » de la contraception, deux modes de prescription et d’information … La séance continue. C’est un peu crispée que j’exécute la gymnastique traditionnelle : les fesses à l’air, jambes écartées sur les étriers suspendus, le tout sous la lumière clinique du néon. La gynécologue m’examine et en profite pour me présenter le stérilet hormonal développé par les laboratoires Bayer-Schering et me vend ses avantages : « Moins douloureux à la pose, prévient les risques d’infections, permet la totale ou quasi disparition des hideuses menstruations. Un must. »
A ce moment de la consultation, j’observe mon bel utérus sur l’écran de l’échographie mais il ne me renvoie aucun contre-argument. A bien y regarder, il m’a l’air effaré, on dirait qu’il se sent lui aussi un peu con et timide face à la science et aux machines. Cependant je sens monter en moi une colère qui ne vient pas de ma méconnaissance de la cartographie des possibles en termes de contraception, mais de l’information trop partielle et partisane que je suis en train de recevoir d’une médecin, qui plus est une femme, dont j’attends exactement le contraire : information éclairée, exhaustive (autant que possible), circonstanciée et empathique.
Devant mon assurance qui se dégonfle et m’inhibe autant que la position dans laquelle je suis installée, la médecin bat en brèche contre le stérilet en cuivre. Outre le risque d’infection qui prend désormais dans mon imaginaire la forme d’une épée de Damoclès qui pourrait à tout jamais m’amputer de mes ovaires , elle insiste et invoque encore toutes sortes d’arguments qui se révèleront erronés ou absurdes !
Elle me prévient : « Si jamais vous faites un rejet, vous aurez dépensé 140 euros pour rien ». Après un coup d’œil sur le blog de ma mutuelle, j’apprends qu’un stérilet en cuivre coûte en réalité entre 18 et 67 euros pour 5 ans contre en revanche 141 euros pour un stérilet hormonal, et que le risque de rejet est le même dans les deux cas. Je découvre par la même occasion que la Wallonie, enfin la société Mithra, a accouché de son propre stérilet hormonal. Je vous en parlerai plus tard.
Elle me présente la pose du stérilet en cuivre comme suit : « Ce sera un moment extrêmement douloureux, quasi insupportable … surtout pour une nullipare comme vous » ( i.e. celles qui n’ont pas encore d’enfants). J’ai envie de lui dire : « A mon âge, je pense pouvoir gérer la douleur ». Mais bon, j’oublie que depuis le début de la consultation on me parle comme à une ado peu responsable d’elle-même. Rien ne sort de ma bouche, elle continue …
Elle me promet « des règles surabondantes qui pourraient transformer votre vie en enfer ». Sauf qu’à bien y regarder je ne corresponds pas au profil des potentielles victimes de ce stérilet tortionnaire, j’ai des menstrus courtes et qui me coûtent 4 à 6 tampons par mois. C’est vous dire que je ne m’épanche guère à cet endroit.
Je ne l’écoute plus, je capitule même en acceptant une salve d’ordonnances pour une contraception hormonale vaginale. Pendant 20 minutes, j’ai eu l’impression d’être infantilisée et que le salut de mes ovaires ne passerait que par la consommation d’hormones développées par des laboratoires pharmaceutiques dont je dois aveuglément croire que je suis en tant que femme dans ses multidimensions (physiologique, physique, vécue, ressentie) l’objet principal de leur attention.
Je vous laisse imaginer le sermon qu’on doit vous servir si jamais vous avez la hardiesse de vous présenter auprès de tel-le-s médecins, pour un avortement, une ligature des trompes, ou si vous sortez de la norme hétérosexuelle. Je quitte le cabinet gynécologique, fâchée, n’ayant pas eu le ressort de contrecarrer son discours moralisant. J’ai dépensé 50 euros pour me payer une colère et une furieuse envie de d’en savoir plus. Je lui dis « aurevoir », je pense « adieu ».
Ce 1er février, j'entrais dans ma huitième année sans pilule contraceptive. Il faut dire que quinze ans de gobage d'hormones au quotidien avaient eu raison de mon sommeil (coucou les insomnies !) et de ma peau (coucou l'acné de trentenaire !) et que ça commençait à bien faire !
Entre temps, je suis passée au dispositif intra-utérin (D.I.U.), appelé à tort « stérilet » puisqu'il ne stérilise rien du tout, et je suis ravie de ma contraception. A priori, tout le monde s'en fout (et jusque là, je ne vous contredirai pas), si ce n'est que ce qui m'a confortée dans le choix de ma contraception est la lecture du webzine de Martin Winckler. Et il se trouve qu'il inaugurait précisément l'Université d'Hiver « Femmes et Santé » organisée par le FERULg devant un auditoire malheureusement clairsemé le 27 janvier dernier.
Pour celles et ceux qui l'ignoreraient, Martin Winckler (Marc Zaffran de son vrai nom) est écrivain, lauréat en 1998 du Prix du livre Inter pour son remarquable roman « La Maladie de Sachs » porté à l'écran l'année suivante par Michel Deville. Il est aussi médecin généraliste. Son le parcours professionnel l'a amené à se spécialiser dans les soins gynécologiques (sans pour autant être gynécologue) et à la publication d'articles sur le sujet. Il se consacre désormais entièrement à l'écriture. D'ailleurs, son remarquable webzine est une mine d'informations sensées et pertinentes pour qui voudrait se renseigner sur la contraception et la gynécologie.
Donc, en ce mardi soir d'hiver, je le découvre exactement comme je l'imagine : humble, souriant et débonnaire. Traité d'emmerdeur par bon nombre de ses confrères parce qu'il remet en question les us et coutumes professionnels de la médecine, à commencer par la formation des futurs médecins, il a fini par quitter la "douce France" et ses praticiens rétrogrades pour le Québec.
C'est qu'ils sont nombreux, les médecins qui prennent leurs patients, et à plus forte raison leurs patientes, pour des irresponsables, notamment sur les questions gynécologiques.
Que celle qui ne s'est jamais sentie infantilisée par un/e gynéco me jette la première pierre. Je ne vais d'ailleurs pas vous donner d'exemples : un bref sondage au sein votre entourage féminin vous en donnera sans doute suffisamment pour remplir une encyclopédie entière.
Et Martin Winckler de remettre l'église au milieu du village (encore que l'église n'aie rien à voir là-dedans, vous en conviendrez) : le soin est un processus qui met face à face deux personnes égales, et il se plait à rappeler aux médecins qu'ils ne l'ont pas toujours été.
Selon lui, la pratique passe avant tout par l'écoute et l'empathie, car on apprend la vie en écoutant les gens raconter des histoires et en les considérant comme des individus responsables. Responsables de leur vie, responsables de leur choix, et notamment celui d'une contraception adaptée.
À ce sujet, je me permets de vous conseiller, si votre médecin vous refuse la pose d'un D.I.U. sous prétexte que vous n'avez pas eu d'enfant/s, d'aller voir ailleurs, car il existe aujourd'hui des modèles parfaitement adaptés à la morphologie des nullipares. Et je suis la preuve vivante que l'on peut se faire poser un D.I.U. sans danger ni problème, même sans avoir "pondu". J'en veux d'ailleurs beaucoup à cette gynécologue (française) qui m'avait refusé la pose d'un D.I.U. en 2001 sous prétexte, je cite, que je « tolérais très bien ma pilule » (l'avenir me prouvera que non – et le pire, c'est que je l'ai crue !).
N'hésitez donc pas à demander un deuxième avis si vous ne vous sentez pas totalement en confiance avec votre médecin, car c'est à vous de choisir la contraception qui vous convient ! Hélas, il reste des soignants peu ou mal informés sur le sujet qui préfèrent, sans doute par confort, rédiger des ordonnances plutôt que d'effectuer des actes médicaux, même banals.
Comme l'a rappelé Martin Winckler au cours de sa très belle intervention du 27 janvier, une personne qui n'est pas professionnelle du soin a le droit d'avoir un avis sur la question puisqu'elle est la première concernée, et qu'elle est la seule à savoir ce qui lui convient.
La Salle académique de l'ULg aurait pu, aurait dû être pleine à craquer. Au lieu de cela, elle était à moitié vide (ou à moitié pleine, c'est selon). Je lui ai présenté des excuses à l'issue de sa conférence parce que je me suis sentie profondément désolée que sa venue pour cette soirée unique n'ait pas fait l'objet d'une promotion plus conséquente. J'ignore si les professionnel/les et étudiant/es des secteurs médicaux et paramédicaux étaient au courant, mais ils/elles avaient tout à fait leur place au sein de cet auditoire... et leurs (futur/es) patient/es en auraient certainement tiré des bénéfices.
Je suis née dans un coin reculé du sud de l'Europe, où sexualité et contraception sont tabou, aussi bien dans la famille – entre parents et enfants ou entre fratrie – qu'à l'école. Imaginez-vous des cours sur la sexualité dans des établissements publics où, en 2015, on revendique encore avec ferveur la présence de la croix du christ dans les classes, et où l'unique cours philosophique dispensé est celui de religion catholique ? Bref, la sexualité, c'est niet ! Et la contraception, encore plus, car « ça peut donner de mauvaises idées » ! Restent les copains et les copines, mai ce n'est pas si simple. Peut-être avions-nous déjà intériorisé que l'on ne parle pas de choses intimes, c'est-à-dire de sexe, ni de « choses sales », c'est-à-dire de sexe. Allez savoir...
Quelque mois après mon arrivée dans les terres du nord de l'Europe, alors que j'annonce avoir rencontré un petit ami, j'entends au bout du fil ma sœur aîné qui me dit soudain, d'une voix ferme mais quelque peu cassée : « prends la pilule, hein ! ». Ce sera l'unique fois où on en a parlé. Enfin, parlé... Mon premier rendez-vous (à vingt ans !) chez une gynéco d'un planning familiale était déjà pris. Elle me prescrit d'emblée la pilule, sans me proposer aucun autre moyen de contraception ni me donner d'explications quant aux répercussions possibles sur ma santé. Je n'en demande pas non plus. Je suis jeune, je prends la pilule, je me sens une jeune femme libre de disposer de son corps.
J'ai pris la pilule pendant cinq ans. Puis j'en ai eu marre. Marre de ne plus sentir mon corps. D'avoir des règles brunâtres plutôt que rouge vif. Marre de dépendre d'une plaquette, d'un médecin pour les prescriptions, marre d'enrichir des multinationales pharmaceutiques. Une petite lumière s'est alors allumée dans ma tête qui m'a poussée à lire ATTENTIVEMENT la notice de la boîte. Ce fut le dernier coup de pouce nécessaire pour me faire arrêter définitivement la pilule contraceptive.
Quand le programme du colloque « Femmes et santé » m'a été présenté, la thématique « droits sexuels et reproductifs » m'a immédiatement interpellée. En particulier la conférence : « Hormones sexuelles en contraception et en ménopause : poisons diaboliques ou instruments clés de de la conquête de l’indépendance féminine ? ».
J'arrive au colloque. C'est l'après-midi. La salle est pleine. Je m'installe au premier rang et allume mon dictaphone. Une longue présentation est réservée à l'orateur, Michel Foidart. Je ne le connais pas – oui, je vous l'accorde, j'aurais dû me renseigner avant d'y aller... – mais je comprends très vite qu'il s'agit de quelqu'un d'important qui a fait une foule de choses dans sa vie, importantes elles aussi !
Je me fais toute petite et j'écoute.
« La pilule et les hormones sexuelles dans le cadre de la contraception et de la ménopause est un sujet extrêmement débattu. »
Certes... mais il n'explique pas pourquoi c'est le cas, et en quoi ce débat consiste.
« D'un point de vue purement médical, [la contraception hormonale] a contribué à l'indépendance féminine. »
Certes... mais elle a aussi contribué à une dépendance pharmacologique, sans parler du contrôle médical du corps de femmes.
« Ce serait présomptueux de dire que ce sont les hormones qui ont libéré la femme, un grand nombre d'éléments sociaux, politiques, sociétaux et conjoncturels ont également contribué à l'émancipation féminine. »
Ah oui quand même, c'est bien de le rappeler. Les luttes de nombreuses femmes qui nous ont amené à jouir aujourd'hui, « nous les jeunes », de droits qui nous paraissent désormais acquis.
Ensuite, la conférence fait place à un historique qui met en parallèle la place des femmes dans la société et les découvertes hormonales en terme de contraception.
Vous pourrez trouver les détails ici.
Aux U.S.A, en plein maccarthysme, les recherches sur la pilule hormonale ne se sont pas déroulées dans un climat paisible. Faute de subsides, la millionnaire Katherine McCormick finance un projet de recherche qui, grâce à la force de persuasion de Margaret Sanger, implique le médecin Gregory Pincus. Les tests pour la première pilule qui sera mise sur le marché seront effectués à Mexico et à Puerto Rico, où la contraception (ou du moins le contrôle des naissance) était autorisée.
C'est sur 250 femmes que les tests sont effectués. Une petite voix intérieure m'interroge. Qui étaient ces femmes ? Etait-ce des femmes pauvres ? Quelles répercussions ont eu ces tests sur ces femmes et leur santé ?
Durant les années soixante, la première pilule est commercialisée. Elle est vendue en vrac. Pour contrer la résistance des églises et des gouvernements plus conservateurs, elle n'est pas présentée comme contraceptif, mais comme « régularisateur de cycles ayant comme effet secondaire le blocage de l'ovulation ».
Le conférencier entame alors son éloge :
« La pilule est une grande satisfaction pour les femmes. Elle fait baisser le taux d'avortement dans les pays où elle est est la plus utilisée. Le taux de mortalité des femmes diminue.[...] La pilule met à l'abri de grossesses non désirées, d'avortements clandestins. Elle permet à la femme de programmer sa vie reproductive d'un point de vue personnel et professionnel. C'est donc un élément de libération considérable.[...] »
Et il poursuit avec une liste infinie d'avantages :
« La pilule permet une régularisation des cycles, des règles moins abondantes, une diminution des risques d’anémie, moins de douleurs au moment des règles et de dysfonctionnement au niveau des ovaires, moins de syndrômes polykystiens, moins de fibromes, moins d'infections pelviennes, moins de risques d'endométriose. Et une diminution des risques de cancer des ovaires et du côlon. »
Je me sens dépassée. J'ai l'impression de me trouver face à une présentation commerciale. Je ne comprends pas ce que je fous là. Je ne trouve pas ma place. Et pourtant, c'est bien des femmes et de leur corps qu'on parle.
Il prend alors une voix charismatique, pour clore la conférence :
« Mais quel est le bon choix ? Le bon choix sera le votre. [sur l'écran, l'image de cendrillon avec sa petite chaussure de cristal]. Chaque contraceptif correspond au profil de la patiente. »
A cet instant, j'ai quasiment failli tomber de ma chaise. Dans la bouche, le goût amer du néo-libéralisme mêlé de conservatisme et de paternalisme. Te faire croire que tu as le choix, que tout ce qu'on fait, c'est pour ton bien en tant que femme. Avec cette cendrillon en fond, symbole à mes yeux de notre société patriarcale et sexiste.
Et je pense à moi, petite jeunette de vingt ans venue d'ailleurs... Ai-je vraiment eu le choix ?
Je me sens seule. Je sors de la conférence avec des questions qui me paraissent être restées sans réponse. La contraception est-elle seulement une question de femme ? Et le partenaire, dans tout ça ? Quelle responsabilité ? Et l’autodétermination des femmes, elle est où ? Dans la dépendance qui s'est construite pendant des années vis-à-vis du corps médical et des grosses firmes pharmaceutiques ? Lesquelles représentent désormais un pouvoir économique qui ne fait rien d'autre qu'instrumentaliser le corps de femmes ? Où est la connaissance de son corps dans tout ça ? Comprendre comment il fonctionne. Se sentir bien. Se sentir épanouie dans un corps qu'on re-connaît et qui est le nôtre.
Je pense à ce qu'une copine qui travaille dans un planning m'avait raconté quelque jours auparavant à propos d'ados qui prennent la pilule sans même savoir ce qu'elle provoque dans leur corps. Est-ce ça, l’émancipation féminine ?
Après mon expérience chez la gynéco, j’ausculte encore plus attentivement le programme « Femmes et Santé ». Je râle de ne pas pouvoir assister à la conférence d’ouverture le mardi 29 janvier de Martin Winckler, médecin progressiste et féministe. Celui-là même qui le 18 janvier dans son Webzine invitait ses lectrice/eurS à participer au blog Gyn&Co qui propose aux patient-E-s d’établir des listes de soignant-E-S afin de co-construire un « commun », une « éthique commune » de la relation soignant/E-patient/E, de la débarrasser de préjugés de tous ordres, et de respecter les savoirs de l’unE et les besoins de l’autre, pour une prise en charge adaptée de chacunE.
En tous cas, je me dis que cette conférence est de bon augure pour la suite du colloque, « vivement mercredi ». Le colloque Femmes et Santé présente un programme très fourni avec plus de 40 intervenant-E-s issu-E-s des sciences humaines (philosophie, psychologie, sociologie, sciences politiques, histoire), des sciences dures (médecine, biologie) et d’ONGs.
Etre née femme (identifiée biologiquement et civilement comme telle), nous inscrit dans différents organigrammes et systèmes de valeurs : religieux, politique, économique. Etre une femme vivant au nord ou au sud, être une femme en Irlande ou en Suède, être une femme en période de déclin démographique ou dans l’après-guerre, etc. n’impliquera pas les mêmes enjeux en matière de santé. À priori, le colloque me semble être le lieu où vont pouvoir être mis en perspective et en débat ces différents enjeux à la lumière d’informations éclairées par des champs de recherches et de pratiques variés.
Conférence n°1 : Discours et représentations du corps féminin de la Renaissance à la fin du XVIIIè, approches contemporaines des représentations du corps féminin.
Marie-Elisabeth HENNEAU, historienne, nous rappelle que le va-et-vient entre régimes d’oppression et espaces d’émancipation ou de réappropriation identitaire est le fait d’une longue histoire très peu présente dans les théories féministes occidentales, qui ont tendance à considérer les premiers interstices féministes ouverts avec les Lumières, comme si tout ce qui a précédé n’était qu’obscurantisme.
Elle attire notre attention sur des petites choses que la Grande Histoire, même féministe, n’a pas toujours mentionnées. Ces fragments d’histoire constituent un corpus irrévérencieux qui témoigne de la pro-activité de certaines femmes et de la capacité à s’inventer et exister par elles-mêmes, en produisant, l’air de rien, leurs propres discours, leurs propres codes au sein d’une idéologie dominante et oppressante.
Ainsi, elle (re)dévoile les processus mis en place par l’Eglise et par la science pour produire discours et représentations des femmes, limitant et conditionnant leurs possibilités d’exister en tant qu’individuEs singulières. En contrepoint, elle témoigne des brèches ouvertes par des femmes de l’Ancien Régime afin de produire leurs propres espaces d’expression et de représentations en détournant la contrainte. À la lumière de cette histoire, les vocations religieuses peuvent apparaître à certains égards comme des manifestations féministes : la manière de porter l’habit religieux, le rapport aux plaisirs de la chair (nourriture) dans les cloîtres, le choix du célibat, la possibilité de penser la « maternité » en dehors de l’implication organique de l’utérus, etc.
Le Christ de Lessines incarne la représentation de la possibilité pour une femme d’accueillir le divin (« Lamentation autour du Christ » présentant un Christ barbu mais avec des seins, veillé par les Saintes Femmes. Etonnante huile sur bois de la fin 16e siècle reprenant le thème du Christ maternel et nourricier). To be queer or not to be !
M.E. Henneau nous parle aussi de la querelle des femmes, de toutes les productions de discours et de la place des femmes intellectuelles au sein des salons. En quoi ces discours, au-delà des railleries dont ils ont pu faire l’objet, ont permis de poser les fondations des premiers possibles en termes d’égalité femmes-hommes, et d’émancipation des normes sociales (amitié femme-homme, célibat, etc.).
Je trouve intéressant de regarder dans le rétroviseur. Ces histoires me font penser à des stratégies contemporaines d’élaboration d’auto-représentations face aux idéologies et régimes dominants, des pratiques queer au féminisme islamique, en passant par le cabaret burlesque ou les discours sur la non-maternité.
Conférence n°2 : « L’avortement et le corps des femmes dans les années 60-70 »
Valérie PIETTE, historienne, révèle à la française que je suis l’histoire de la lutte pour l’avortement en Belgique : Willy Peers, le chanoine, le roi, Mai 68, Humanae Vitae, les plannings familiaux, Marie Mineur, Jeanne Vercheval, les politiques de repeuplement, etc. Les résistances individuelles deviennent à ce moment-là résolument collectives et s’incarnent à travers des luttes pour obtenir des droits spécifiques, trouvant un relais auprès de certains hommes.
Enfant de soixante-huitarde, je me sens plus en congruence avec ces luttes, directement en filiation avec les droits qu’elles ont acquis et les espaces d’émancipation qu’elles ont ouverts. Pourtant, un reflux amer me parcourt le corps.
Conférence n°3 : « Ecarts législatifs en Europe, focus sur les droits sexuels et reproductifs »
Rachel BRAHY nous fait la lecture de la communication de Véronique DE KEYSER, psychologue et ex-députée européenne. Cette communication s’inscrit dans la lignée de celle de Valérie PIETTE et présente l’articulation entre les luttes féministes et les politiques de santé publique en Europe : le principe de subsidiarité ; le politique et l’intime ; le coût de l’austérité pour les femmes ; le lobby de l’Eglise etc.
Nous sommes ici et maintenant, dans une Europe en crise économique et institutionnelle. On parle de moi, on parle de mes frangines en Irlande, en Espagne, en Grèce, de mes camarades des années Erasmus.
Les mots récession et régression ricochent tour à tour dans ma tête. Je suis d’une génération qui pensait que tous ces droits étaient acquis, que certaines batailles gagnées durement (droits des femmes, droits des homosexuel-le-s, droits sociaux) ne seraient plus à mener, que les soixante-huitardEs avaient fait le job correctement. Je pensais que ma génération et les suivantes allaient conquérir de nouveaux territoires : droits des transgenres, queer-isation des relations et des institutions, post-colonialisme, etc. Que s’est-il passé ? A quoi ces luttes ont-elles cédé le pas ?
Conférence n°4 : « Hormones sexuelles en contraception et ménopause : poisons diaboliques ou instruments clés de la conquête de l’indépendance féminine »
La journée se clôture alors par l’intervention de Jean-Michel FOIDART, médecin spécialiste en gynécologie-obstétrique et cofondateur de Mithra. Il est apparemment très attendu et plébiscité par certaines membres de l’organisation du colloque, et n’est rien venu nous conter d’autre que la simple et belle histoire du stérilet hormonal qu’il vient de développer avec la société pharmaceutique wallonne Mithra, et avec la complicité de Warren Buffet. Le ton est élégant, assuré, paternaliste et drôle (enfin, selon l’humour). J.M. FOIDART entame un résumé lapidaire et subjectif de l’histoire des femmes et de leur émancipation à la lumière de l’apport des contraceptifs hormonaux. En réalité, il s’est lancé dans la défense de la thèse partisane pro-hormone qui a pour habitude fâcheuse d’oblitérer toutes les pratiques et expériences qui peuvent exister par ailleurs.
Cette conférence nous présente le développement des produits hormonaux à destination des femmes comme un progrès du point de vue de la science, mais également de l’économie capitaliste. Le prêche est contemporain, le prêcheur modéré. Il se targue de philanthropie, ne produisant pas pour l’Eglise, ni pour les vilaines sociétés pharmaceutiques – il cite Bayer – qui ne seraient animées que par des intérêts capitalistes. Il produit en Wallonie pour les femmes wallonnes et luxembourgeoises, pour sauver des emplois ici et maintenant, et pour Warren Buffet, son ami investisseur qui, de son côté, être très attaché au sort Des-Femmes-Du-Sud auxquelles il compte fournir ce nouveau stérilet hormonal en masse. Je suis déçue : les modératrices du colloque ne mettent pas en perspective cette présentation partielle des enjeux liés à la contraception féminine avec des enjeux transversaux et globaux comme le marché économique, les politiques natalistes, la prévention des MST, les rapports nord-sud an matière de santé publique, etc., bref, ce qui a été évoqué précédemment dans la journée.
Samedi matin, 8h00. Après quelques réticences, je me force à sortir de mon lit pour assister au dernier jour du colloque « Femmes et santé ». Je m'y rends essentiellement pour deux conférences : « La plate-forme Femmes et Santé » avec Catherine Markstein, et « Pour une éducation à l’égalité des genres au travers des animations à la vie affective, relationnelle et sexuelle » avec Fabienne Bloc.
Il est 9h00. Dans la salle, il y a dix personnes, y compris les organisatrices. La conférencière se présente. Elle annonce d'emblée s'inscrire « dans une critique d'une société surmédicalisée ». Son travail, elle l'accomplit « avec les femmes de toutes les couches de la population qui, par elles-mêmes, parcourent un chemin d'autonomisation et d'autodétermination, plutôt que de dépendance médicale ». Là, je commence à me sentir concernée. Enfin, un discours autre est mis en avant. Dommage que, ce samedi matin à 9h, il n'y ait presque personne. Hasard du calendrier ou du pouvoir économique?
En reprenant le discours de l'OMS de 2008, elle nous parle des échanges entre femmes, qui ont toujours existé et qui ont contribué à leur formation. Ces échanges qui débouchent sur « une culture, un savoir, une intuition dans la relation au corps et à la santé », transmise de génération en génération. Et d'insister sur le fait qu'on assiste aujourd'hui « à une véritable rupture de transmission ».
Une transmission brisée par « la biomédecine pratiquée dans une perspective très paternaliste », qui se révèle n'être rien d'autre qu'un rapport de domination où le médecin sait ce qui est bien pour l'autre.
Elle poursuit: « La médecine s'est toujours assurée, avec le concours des pouvoirs politique et religieux, la surveillance et le contrôle des différents cycles de vie des femmes, des différents temps de la reproduction. Dans cette perspective, le corps des femmes est considéré comme un réservoir d’irrégularités et d'anomalies qui nécessite d'être normalisé par un traitement, un contrôle, une observation constante ». « [...] Cette médicalisation commence dès l'adolescence et se poursuit toute la vie autour de la contraception, de la ménopause et puis du troisième âge.[...] Elle dépossède les femmes des savoirs sur leur corps et de leur confiance en celui-ci. La médicalisation casse la solidarité entre femmes, elle les isole. »
Je me sens subitement moins seule. Elle développe des propos dans lesquels je me reconnais et dont j'aurais aimé retrouver la teneur lors la conférence précédente. Avoir un point de vue qui sort de la pensée dominante et qui, même si on ne le partage pas, invite à une réflexion plus globale et plus complexe sur les femmes, leur santé et leur émancipation. Des propos mis en avant par une médecin et une travailleuse sur le terrain.
Les femmes qui peuvent réellement choisir aujourd'hui constituent une minorité, car cela dépend du milieu dont elles sont issues. Catherine Markstein poursuit en déconstruisant la notion de choix : « un concept néolibéral difficilement identifiable, camouflé, et qui surgit sous la forme du choix sans choix ». Pour elle, les vraies questions ne se situent pas au niveau du choix, mais « au niveau de nos conditions de vie, déterminantes pour notre santé. Quelle est notre situation réelle et quel facteurs familiaux, sociaux, économiques et culturels influencent notre santé et les choix qui s'y rapportent ? »
Face à une société surmédicalisée, à une relation de domination entre soignant et soigné, face à l'isolement des femmes et à la perte de leur savoir-faire, la résistance s'organise. « Pour résister, il faut produire un autre discours. Le réseau “femmes et santé” () qui s'est crée avec la prospective des mouvements pour la santé des femmes organise, dans un cadre de promotion, des groupes de paroles autour des différents cycles de vie. Ça stimule des groupes d'autoformation, les femmes se forment entre elles et sans aucun expert extérieur. »
Le passage de la résistance à la résilience s’effectue à partir de stratégies mises en place, à savoir : « travailler uniquement avec des groupes de femmes » avec comme outil « l'intervention féministe avec ses stratégies émancipatrices qui sous-entend soutenir et respecter les femmes dans leurs démarches, déconstruire avec elles les rapports de pouvoir soignant/soigné, et se rapproprier un savoir séculaire scientifique sur leur corps, pour augmenter leur capacité à comprendre, discuter, décider les choix qui leurs sont proposés et/ou imposés. » Un travail qui favorise « une prise de pouvoir sur sa vie, et la conscientisation des femmes en prenant en compte la pluralité et la complexité de leurs expériences ». Elle conclut en insistant sur la façon dont le mouvement « self help », né dans les années septante, a contribué à développer ce discours « dissident ».
Je me sens tout d'un coup réconfortée. Et je me dis que ça valait vraiment la peine d'être là. Même un samedi matin. Pour en savoir plus : www.femmesetsante.be
La première conférence vient de se terminer. Et la deuxième s’enchaîne avec Fabienne Bloc. Je me redresse. Et j’écoute.
La conférencière mène des animations dans le cadre de « l'éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle », formule reprise sous l'acronyme EVRAS.
« Nos objectifs » dit-elle, visent à « susciter la réflexion qui conduit à une sexualité libre, autonome et responsable, au respect de soi et de l'autre, et aussi à une réduction des inégalités ». « Nos pratiques doivent en conséquence favoriser cette capacité d'exercer des choix dans le respect de soi et des autres et de pouvoir aborder la sexualité dans une vision positive et non culpabilisante, [...] et ce tant au niveau biologique qu'affectif, psychologique, juridique, sociale : éthique, en somme. »
Enfin ! Qu'est-ce que j'aurais aimé participer à de telles animations pendant mon adolescence !
Le genre est cet outil privilégié qui « permet d’analyser, de questionner, de déconstruire les stéréotypes d'une société d'une manière plus globale. L'identité sexuelle absorbe les esprit car elle évoque ce que chacun ressent quant à son sexe, son genre et sa sexualité ; or, l’éducation que les filles et les garçons reçoivent est toujours très formatée. Elle assigne bien souvent aux garçons un rôle actif et aux filles un rôle passif. » Avec les questions qui en découlent : « Que doit être une fille ? Que doit être un garçon ? Que doivent-ils/elles avoir comme comportement sexuel, en tant que fille ou en tant que garçon ? » Questions qui reviennent d'après elle de manière régulière, d'où la nécessité de les aborder avec eux. Si celles-ci sont de plus en plus présentes à travers des animations, il n'en reste pas moins que trop rares sont les adolescent-e-s qui en bénéficient, faute de subsides et de personnel.
Mais quelles démarches mettre en place dans les EVRAS?
Elles ne doivent certainement « pas se limiter à la responsabilisation, aux conduites rationnelles de protection et de prévention – fort développées dans les années après sida – [...] mais elles doivent aussi aider les jeunes à mieux se comprendre, à prendre leur place en tant qu'individus ».
Un approche globale est souhaitée pour lutter contre les stéréotypes. Car pour la conférencière « [...] il ne s'agit pas de tenir uniquement des discours sur l’égalité fille/garçon, mais de faire évoluer les attitudes éducatives à ce sujet. Partir des expériences de chacun-e et réfléchir ensemble à la mise en question et donc à une possible déconstruction ». Déconstruire les catégories (filles/garçons, homo/hetéro) qui produisent « des effet d'enfermement, de violence de hiérarchie et de discrimination » permet « de favoriser une ouverture et une créativité. » « Pour ce faire » il est important « de mettre du mouvement dans la pensée ».
En pratique...
Une grande place est laissée à la créativité du groupe et à l’imprévu, nonobstant le fait qu'animatrices et animateurs aient un fil rouge et des objectifs.
« Nous savons que l'apprentissage s'ancre dans l'émotionnel, et que l'imaginaire se met au service du contenu. » Il est essentiel pour elle « de toucher les adolescent-e-s autrement qu'avec de seuls discours , en partant d'eux et de ce qu'ils peuvent proposer, ce qui permet de mettre tout le monde dans ce bain commun. »
Les moyens utilisés sont multiples et diversifiés : « brainstorming, photo-langage, compositions d'affiche, sculptures humaines sur certains thèmes, lettres ou extraits de journaux intimes. [...] Cette phase de créativité est importante, les univers mentaux se découvrent, se rencontrent et s'allient aussi,[...] pour trouver une pensée alternative à celle, unique, qui emprisonne. »
« Après la phase de créativité vient la phase de structuration qui consiste à classer, trier, rassembler, et ça, c'est le début de la réflexion. » S'ensuit « la conceptualisation, qui permet de nous raccrocher à l'information sur base de ce qu'ils nous ont donné. Faire référence à l’anthropologie, à l'histoire, aux droits reproductifs en fonction de ce qu'ils nous disent : c'est là généralement que l'information passe le mieux parce qu'elle est demandée et portée en-dehors de toute forme ex-cathedra. »
Un samedi matin bien chargé. J'ai fait le plein d’énergie, de rencontres, d’échanges. Le changement ne vient pas qu'en avalant une pilule, mais en comprenant pourquoi et comment on l'avale (ou pas).
Les discussions, les échanges, le remise en question, les déconstructions… des armes de dé-construction massive. Et je pense à ces millions de jeunes et moins jeunes qui en sont privés… car il n'y a pas de sous.
Et puis, au-delà de toutes ces discussions sur le fait d'instaurer des cours d’éducation civique à l’école, si on mettait des EVRAS partout ?
J’avais envie, j’étais curieuse, de voir ce qui se tramait à l’Université en matière de féminismes. Je n’avais plus mis les pieds à l’Université depuis longtemps, ni confronté mes neurones et ma sensibilité à ses codes. Dès les premières communications, j’ai replongé dans la mécanique mentale qui m’a formée, et dont je me suis patiemment défaite, non sans mal : reprise de contact un peu brutale avec la « démarche scientifique »…
La démarche scientifique se doit d’observer des caractères d’objectivité, de généralité et de cohérence. Exemple d’objectivité : une femme sur huit risque le cancer du sein après la ménopause. Exemple de généralité : les victimes de viol se taisent. Exemple de cohérence : les premières femmes qui accèdent aux professions médicales n’y voient pas le lieu d’une avancée féministe mais l’expression de leurs dispositions naturelles à prendre soin des personnes.
De quelles femmes et de quelle santé parle-t-on ?
Définition de l’ensemble FEMMES tel que tout élément lui appartenant, comprendra au moins un utérus, un vagin et deux seins.
Définition de l’ensemble SANTÉ tel qu’il regroupe les états supposés d’équilibre se manifestant par le silence des organes.
Le corpus du colloque se trouve à l’intersection de ces deux ensembles ; c’est dire qu’il pose la question suivante : comment rétablir le silence des utérus, des vagins et des seins ?
Question subsidiaire proche de l’absurde quoique essentielle : comment ne pas réduire dans le même mouvement à ce même silence la langue des femmes ?
Je suis là, à relire mes notes et à me demander pourquoi je me suis sentie extérieure. Je tente d’appliquer à ma question une méthodologie recevable. N’ai-je pas un utérus ? un vagin ? deux seins ? Ne me suis-je pas coltinée les manipulations médicales de la procréation assistée ? N’ai-je pas une mère qui me fait honte ? N’ai-je pas subi un viol ? Ne suis-je pas malmenée par les clichés de ma propre identité ? N’ai-je pas été confrontée à des pratiques sexuelles sciemment débarrassées de la procréation ? Ne suis-je pas en train d’incorporer l’idée en moi de la ménopause ? N’ai-je pas établi mes filliations – symboliques, littéraires, politiques et spirituelles – dans une lignée féministe qui m’impose héritage ?
Pourtant… personne à aucun moment de ma présence à ce colloque ne m’a parlé de moi.
Pourquoi ?
Peut-être justement parce que c’est le vacarme de mes organes qui me tient lieu de santé !
Non leur silence. Je dis vacarme, il s’agit parfois d’un murmure, un souffle peut suffire à me les faire entendre. Je dis organes, ce que leurs gueulantes pourtant m’ont appris, c’est que je ne suis pas un organisme – pièces distinctement attachées chacune à leur fonction – mais un cône d’énergie où tout peut faire force, y compris la célébration des fragilités. La parole est un mouvement, le mouvement est une traversée. Le corps est la voile autant qu’il est le vent. De même, la conscience est la mer autant qu’elle est la coque. E la nave va… bene, grazie !
Alors, j’ai pris la parole. J’ai dit : mais qu’en est-il des savoirs et des pratiques de celles que le Moyen-Âge a exterminées ? Faire l’histoire de la contraception et de l’avortement n’impose-t-il pas de rompre radicalement avec l’historiographie dominante qui invisibilise de manière systématique et sournoise la présence active des premières concernées ? Quid de la sodomie comme méthode contraceptive naturelle ? Que disent les statistiques à propos du viol homophobe des pédés ? Le fait d’être gouine a-t-il été mentionné, dans les études, comme un potentiel différent face à la présupposée vulnérabilité identitaire des femmes ?
Et puis je me suis tue. Pas oser dire : qu’en est-il des viols entre pédés ? qu’en est-il des viols entre gouines ? Qu’en est-il de la ménopause vue comme puissance, rite de libération, et non comme déséquilibre ? Qu’en est-il du cancer comme pathologie culturelle et conséquence pharmaco-pornographique ? Qu’en est-il des familles qui s’inventent carnaval ? Qu’en est-il des collectifs anarco-féministes qui remettent au jour, en toute illégalité, les techniques et les connaissances gynécologiques des sorcières et refont à partir d’elles une histoire contemporaine, clandestine et passionnante des femmes sages ?
Il y avait comme une impossibilité à dire. Il y aurait eu trop à dire. Remettre en question les postulats. Interroger les définitions. J’ai tenté des passerelles qui ont révélé l’écart plus que rapprocher les rives. Postulats - Principes indémontrables, mais qui paraissent légitimes, et qu'on ne peut prendre pour fondement de la démonstration sans l'assentiment de l'auditeur.
Le hic est là : je n’ai pas donné mon assentiment pour les postulats ! Je les refuse.
Aussi, je me suis tue, et j’ai conclu, pour moi-même que décidément non, je ne suis pas un vagin + un utérus + deux seins ; et que l’état de santé n’est pas celui qui me convient ; et qu’il se pourrait bien que le discours produise la vulnérabilité qu’il prétend décrire.
Si le courant anglo-saxon des gender studies n'a pas encore suffisamment percolé pour qu'une problématique sociétale telle que l'addiction soit réellement explorée à travers le prisme du genre, l'intervention de Magali Crollard (Centre Alfa) et Claire Gavray (Docteur en sociologie, membre du Conseil d'administration du Centre Alfa) au colloque du Ferulg « Femmes et santé » indique malgré tout qu'une telle approche commence à être envisagée par certains acteurs du secteur de prévention et de lutte contre les assuétudes. Mais... Comment dire ? ...Y'a du boulot !
Certes, des études comparatives hommes/femmes existent, mais des enquêtes centrées sur la spécificité de l'impact du genre (et, bien évidemment, de ses représentations sociales et culturelles) sur les rapports aux produits, sur les usages, sur les politiques de réduction des risques, sur l'accès aux soins... manquent encore cruellement.
Cela fait partie des raisons pour lesquelles S., trente-quatre ans, héroïnomane depuis dix-sept années, a vécu des mois de sourde angoisse et de questions muettes alors qu'elle attendait A., sa fille, son premier bébé.
Par défaut, les filles toxicomanes sont davantage stigmatisées en ceci qu'elles sont perçues par l'ensemble du corps social comme des mères en puissance. Et la drogue, pour une mère, « c'est mal ! ». Comment dès lors, lorsqu'on consomme de l'héroïne depuis dix-sept ans, parler sereinement à son/sa gynécologue de sa grossesse, en toute transparence ?
Pour S., une grossesse surprise, mais très vite accueillie comme un vrai bonheur... On verra plus loin que c'est encore plus compliqué quand la grossesse est désirée. Un vrai bonheur que S. n'a osé raconter à son gynéco qu'en faisant abstraction d'une donnée essentielle pour le suivi de sa grossesse et de la santé du fœtus : la prise quotidienne de 40 ml de méthadone, et occasionnelle (1 à 2 fois par semaine à partir de la cinquième semaine d'aménorrhée, contre un usage quotidien auparavant) d'héroïne par inhalation (fumette à l'aide d'un papier d'aluminium).
Mais quand on ne dit pas tout à son/sa gynéco, même si le développement du bébé semble normal, plein de questions affleurent, sans réponses... S. culpabilisait doublement : de ne pas parvenir à devenir complètement abstinente à l'héroïne – malgré une diminution importante dès la prise de conscience de sa grossesse –, et de ne pas tout dire, ce qui lui faisait craindre de mettre encore davantage en danger la santé de son enfant. Une double culpabilité qui renforçait la difficulté à atteindre l'abstinence. Mauvais cercles. Angoisse sourde et questions muettes.
Quatrième mois. S. se décide. Elle balance tout. Le gynéco fait les gros yeux et l'entraîne aussitôt dans la vilaine spirale de la double contrainte. D'abord, un quintal de morale déversé âprement à même la table de consultation, tandis que S. est là, jambes écartées, cœur/ventre vulnérables, seule, honteuse, coupable. Mais ce n'est pas fini. Car ensuite, incroyable de mauvaise foi, il lui lance, méprisant : « Comment avez-vous pu ne pas me mettre au courant dès le début de votre grossesse ? Vous vous rendez compte des risques que vous avez fait courir à votre enfant ? »
En sortant du cabinet, S. appelle son dealer : seules quelques taches 1 d'héro peuvent laver pendant quelques heures la crasse dont ce sale type les a couvertes toutes deux, elle et elle : car, entre deux sermons, il a lâché froidement : « Au fait, c'est une fille ».
Quelques jours plus tard, elle arrive malgré tout à envisager cette visite cauchemardesque sous l'angle dont elle a besoin : sa fille sera bien suivie désormais. Un peu de quiétude. Des questions qui ne seront plus muettes. Une angoisse un peu moins sourde. Et elle y arrive. Prise unique de méthadone. Elle balance le numéro du deal. En quelques semaines, elle diminue le dosage, très doucement, car elle sait qu'une diminution brusque est dangereuse pour le bébé.
Le gynéco est toujours aussi glauque, mais au moins, il répond aux questions. Au rythme de diminution du dosage, S. pense arriver à une prise de 20ml/jour en fin de grossesse. Par une amie, elle a eu accès à des études et des témoignages selon lesquels, à ce dosage-là, l'allaitement peut constituer une modalité de sevrage très efficace pour le bébé, d'autant qu'il favorise et stimule la relation mère-enfant. À peine a-t-elle le temps de formuler le mot « allaitement » que le gynéco s'insurge, comme si elle avait blasphémé : « Quoi, vous voulez vraiment faire passer de la drogue à votre enfant par le lait maternel ? S. bafouille, elle cherche les arguments, très clairs une heure avant, mais ceux-ci se défilent, et il ne reste devant elle qu'un type en bouse blanche à l'air dégoûté qui lui dit : « De toute façon, on ne fait jamais ça, on coupera votre montée de lait avec des médicaments et votre bébé recevra de la teinture d'opium le temps qu'il faudra ». Et quand S. ose un : « Mais si je suis à 20ml de méthadone, vous êtes sûr qu'elle en aura besoin ? » il répond, agacé, « il fallait y penser avant, mademoiselle, vous ne croyez pas ? »
Le type en blouse blanche est allé trop loin. S. a fini par trouver une sage-femme bien au fait des questions d'addiction pendant la grossesse et a accouché à la maison. Dans les 48 à 72 heures après la naissance, sa fille a été soumise par un pédiatre au système de notation du syndrome de sevrage néonatal, mis au point pour faciliter le diagnostic de l’affection et déterminer la mesure dans laquelle elle affecte les nouveaux-nés. Ce système de notation permet d’évaluer les divers signes et symptômes de l’affection, ainsi que la sévérité de chacun d’eux. A la suite de ce test, aucun traitement médicamenteux n'a été prescrit et S. a allaité sa fille durant quatre mois.
Tout finit bien, me direz-vous. De quoi se plaint-on ?
On se plaint des mois d'angoisse sourde et de questions muettes. On se plaint du manque de professionnalisme et de connaissance du gynéco. On se plaint d'un contexte ambiant qui a poussé S. à ne rien dire pendant quatre mois : honte, culpabilité, peur qu'on la sépare de son enfant.
On se réjouit que S. ait été bien entourée. Qu'elle ait eu suffisamment de ressources pour s'informer, pour trouver les bonnes personnes.
On se plaint du fait que cinquante mères toxicomanes, pendant ce temps, ont ravalé leurs larmes, leur honte et leurs questions. On se plaint de ce qu'elles ont gardé le secret jusqu'au bout, parce qu'à aucun moment elles n'ont été suffisamment mises en confiance. On se plaint de ce que des médecins confondent encore chaque jour éthique et morale.
On se plaint, aussi, d'une sphère médicale pour qui toxicomanie et désir de grossesse sont radicalement antinomiques.
Quand J. a annoncé à sa gynéco – qu'elle pensait sincèrement jusqu'ici ouverte d'esprit et professionnelle — qu'elle était en traitement méthadone, qu'elle désirait tomber enceinte, et qu'elle souhaitait être informée sur ce qu'elle pouvait faire pour favoriser une grossesse et préparer son corps, celle-ci lui a rétorqué : « Vous ne pensez pas sérieusement ce que vous dites ? »
J. avait commencé l'héroïne à vingt ans. À trente-six ans, elle était maintenant en traitement méthadone (45 ml/jour) depuis un an et demi, sans rechute. Elle vivait depuis quinze ans avec son compagnon, également abstinent à l'héroïne et en traitement méthadone depuis un peu plus d'un an.
Leur désir d'enfant avait grandi en eux depuis plusieurs années, et ils se sentaient prêts à devenir parents. Diplômés en études supérieures et insérés dans la vie professionnelle, ils étaient bien conscients des risques encourus et s'étaient largement documentés sur la question.
Après mûre réflexion, le délai nécessaire (entre un et deux ans minimum) pour que son traitement méthadone soit terminé lui semblait trop long : l'horloge biologique de J. s'était mise en mode alarme et la sonnerie était puissante. Et après quinze ans de vie commune et des périodes de galère largement surmontées, ils avaient tous deux envie de se projeter, de construire, d'éduquer.
Malgré un désir commun et bien ancré, les propos de la gynécologue les ont sévèrement secoués. Ils s'étaient pourtant déjà heurtés à bien des discours de ce type dans leur environnement familial, professionnel et amical, et se croyaient blindés. Mais les entendre dans la bouche d'une professionnelle de la santé leur avait coupé le souffle et fait vaciller leurs certitudes. Surtout celles de J. En l'espace d'une phrase, son ventre était devenu un espace hostile incapable d'accueillir la vie.
J. a mis quelques mois avant de retourner à une visite gynécologique, cette fois après une recherche scrupuleuse. La nouvelle gynéco, une vraie pro, a répondu sereinement à toutes leurs questions, énonçant les risques, les rassurant le cas échéant, sans jamais manifester aucun jugement d'ordre moral. Elle a suivi la grossesse de bout en bout sans sortir de son rôle, et a encouragé les parents dans certaines démarches proactives, comme celle de rencontrer le pédiatre qui allait prendre en charge l'enfant dès la naissance, afin d'anticiper ensemble un moment qui s'annonçait difficile. Le système de notation du syndrome de sevrage néonatal a donné lieu à un traitement à base de teinture d'opium qui a duré cinq semaines, dont trois en milieu hospitalier dans l'unité néo-natale.
Aujourd'hui, l'enfant a sept ans et est en pleine santé physique et mentale. Il a tout d'un enfant épanoui. J. & son compagnon sont pourtant toujours en traitement méthadone à 10 ml/jour. À un risque de rechute à l'héroïne – fantasmé peut-être à tort? – ils préfèrent tous deux se maintenir à ce dosage. Une sorte d'assurance. J., tout de même, se souvient que les propos de la première gynéco l'avaient à ce point ébranlée qu'elle avait failli décider d'aller au bout du traitement avant de tomber enceinte. Que se serait-il passé ? Trop de temps se serait peut-être écoulé pour qu'elle puisse enfanter. Elle aurait peut-être voulu diminuer trop rapidement son dosage et, du coup, repris de l'héroïne... Ou bien elle aurait arrêté la méthadone en un an top chrono, sans problème, sans rechute. Qui peut le dire ? Aujourd'hui, E., leur fils, est un enfant heureux et souriant, qui joue, qui va à l'école, qui fait du sport... Si J. avait laissé la voix de la gynécologue, la voix de la morale, lui dicter sa conduite, E. ne serait peut-être pas né...
Si j'ai décidé de raconter ces deux histoires – vécues – plutôt que de faire une synthèse de l'intervention de M. Crollard et C.Gavray, c'est que, une fois encore, la parole des usager-ère-s faisait cruellement défaut au sein de ce colloque. C'est le cas quand on parle de prostitution. C'est le cas quand on parle de drogue. De psychiatrie. De chômage... J'en passe. Des expert-e-s, toujours, sont sollicités. L'intention n'est pas de dénigrer leur discours ou leur savoir. En l'occurence, M. Crollard et C. Gavray ont livré une analyse très intéressante, mettant en lumière les conséquences néfastes du manque d'approches spécifiquement genrées dans le cadre des addictions. Expliquant par exemple que les femmes, souvent davantage dépendantes affectivement de leur conjoint, soumettent à leur accord ou à leur désapprobation le choix d'entamer un traitement ou de se rendre dans les centres de soin. Expliquant aussi que les moments et les modalités d'accès aux centres de soin défavorisent les femmes toxicomanes, en particulier les mères dont les créneaux horaires sont sensiblement différents de ceux des hommes. Mais c'est surtout leur évocation du fait que les filles toxicomanes, perçues comme mères en puissance, sont davantage stigmatisées, qui m'a le plus interpellée, rappelant à ma mémoire ces deux expériences de vie. J'ai donc souhaité que leur récit s'inscrive en prolongement de ce moment du colloque.
Parce que, oui, on a de quoi se plaindre !
Retrouvez l'exposé de M. Crollard et C. Gavray ci-dessous en pdf FERULG_2015
« La Tragédie du Vengeur », drame élisabéthain foisonnant, offre des motifs de réflexion non dépourvus d’actualité à la problématique du crime sexuel et de sa réparation. Au départ de cette pièce nous interrogerons le silence de la victime, qui l’isole et la lie parfois durablement à son agresseur. Nous verrons comment, des années plus tard, un nouvel abus brise ce secret mortifère et fait, littéralement, surgir la morte du tombeau. D’où s’ensuit la punition du coupable, infligée par un tiers, et le retour à l’ordre. Ce qui laisse ouverte la question : comment rendre sa voix à la victime elle-même ?
Tel était le résumé de la communication de 20 minutes que j’ai donnée dans le cadre du colloque « Femmes et santé » et plus particulièrement de la journée du 30 janvier consacrée, pour la majorité des interventions, au viol. Ma communication était accompagnée d’un PowerPoint reprenant des images destinées à situer, dans le peu de temps imparti, la chronologie des événements relatés par la foisonnante Tragédie du Vengeur. Pièce datant de 1606, dont la metteuse en scène Anne Thuot, six comédiens et moi-même avions élaboré en 2013 une version contemporaine, intitulée J’ai enduré vos discours et j’ai l’oreille en feu, qui fut jouée à la Balsamine à Bruxelles, à l’Ancre et à l’Eden à Charleroi et lors d’un midi au Théâtre du Rond-Point à Paris.
Parmi les images présentées pour illustrer mon exposé, j’ai choisi un saisissant tableau d’Artemisia Gentileschi (1593-1652) représentant Judith se relevant de la couche de l’ennemi d’Israël, Holopherne, pour lui trancher la gorge. Cette scène d’inspiration biblique, je l’ai placée à côté d’une image du film consacré à la vie d’Artemisia Gentileschi, violée à l’âge de 19 ans par son maître de dessin et professeur particulier (les femmes n’ayant pas à l’époque accès aux cours de l’Académie). Le tableau représentant Judith décapitant Holopherne est l’image inversée de la scène vécue où le maître en question viole Artemisia, un couteau posé sur sa gorge. L’art « rejoue » donc, en l’inversant, la scène du viol primitif, l’art « guérit » par un « passage à l’acte » fantasmatique qui revisite la légende, la Judith d’Artemisia Gentileschi passant à la postérité comme l’image même de la vengeance féminine.
Mais comment rendre sa voix à la victime principale de La Tragédie du Vengeur, à savoir Gloriana (la fiancée de Vendice, le Vengeur), violée et empoisonnée par le Duc ? La pièce nous désigne Gloriana comme morte, donc muette, et davantage : comme squelette aux orbites béantes. Anne Thuot et moi avions décidé de lui donner une voix. Dits par Marie Bos, il y eut donc les mots de la détresse, ceux du viol et de l’agonie, sous la forme d’un poème lapidaire qui clôturait la pièce. Il y eut aussi les mots de la colère, et ce passage-là (toujours par Marie Bos) a partagé la salle entre la sidération et le rire. Voici donc cette expression d’une « saine » rage féminine que je n’ai pu, faute de temps, communiquer au public du colloque « Femmes et santé ».
Au commencement Dieu créa les mouches.
Les mouches s’élevèrent en nuage sur la boue informe de l’univers.
Dieu dit : donnons-leur une compagnie qui les occupe.
Et Dieu créa l’homme et la femme.
La femme était informe et vide, il y avait des ténèbres dans son ventre et l’esprit de l’homme se mouvait au dessus de cet abîme aqueux.
L’homme dit : que le viol soit. Et le viol fut.
L’homme vit que le viol était bon. Et Dieu, pour lui plaire, sépara le trou de la tête.
L’homme appela le trou : super, et il appela le reste : nul.
Il y eut un soir et il y eut un matin, ce fut le premier jour.
Dieu n’avait déjà plus rien à dire.
Et les mouches eurent, en plus de la boue informe, quelques cadavres informes à prospecter ardemment.
L’un d’entre eux se nommait Gloriana. Elle était belle et bleue. À cause du poison. Le poison qu’elle avait pris suite à son viol par un homme nommé le Duc.
Les mouches aimaient Gloriana. Les mouches prirent soin de Gloriana. Les mouches nettoyèrent Gloriana jusqu’à l’os. Au grand désespoir de Vendice qui l’aurait préférée charnue et vivante, évidemment, et qui l’aurait bien conservée, morte, dans du formol ou par cryogénisation, si tout cela avait existé à l’époque.
Tout cela pour dire que la chirurgie réparatrice par excellence, le retour à la santé véritable, passe, selon moi, par le pouvoir des mots et le patient travail de créer.
La non maternité est au cœur des réflexions d’Édith Vallée et de Brigitte Liebecq. La première est Docteur en psychologie. La seconde anime depuis 2013 l'atelier d'écriture MaternanceS pour les femmes qui "n’ont pas, pas eu, souhaité ou pu avoir d’enfant" à l'asbl Barricade.
Ces réflexions, je les ai faites miennes depuis longtemps. Nulligeste 1, nullipare 2, je n'ai ni porté ni accouché d'un enfant.
Ce désir qui n'en est pas vraiment un m'a valu bien des remarques au fil des ans...
Utérus improductif, quelle légitimité ai-je en tant que femme si je me refuse à être mère ?
Sans compter les « Tu changeras d'avis ! », « Ça va venir ! », « Tu n'as pas rencontré la bonne personne ! ». Ces remarques, je les connais tout aussi bien que les commentaires acerbes selon lesquels je serais tour à tour égoïste, incomplète ou vouée à une solitude pire que la mort.
C'est que je l'aime, ma solitude. J'y tiens tout comme je tiens aux rapports entre individus consentants. Entre adultes ; entre adultes et enfants. Et je reste persuadée qu'il y a des cons partout, quel que soit leur âge. Si j'apprécie certaines personnes, j'ai néanmoins beaucoup de mal à apprécier les gens, et la hantise de me retrouver avec un sinistre individu sur les bras jusqu'à ce que la mort nous sépare a certainement eu raison de mes derniers doutes : j'ai vu et lu assez de scénarios catastrophe pour être absolument convaincue que rien – je dis bien rien – ne garantit à qui que ce soit que le chérubin tant attendu ne sera pas le Diable en personne (essayez « We need to talk about Kevin », pour voir).
Malheureusement, la société actuelle ne laisse que peu de place aux individus : la consommation frénétique, plutôt que de nous libérer, n'est bien souvent qu'un signe de frustration, et elle aliène davantage qu'elle ne délivre. Quant aux discours préfabriqués dont on nous abreuve jusqu'à plus soif, de la politique aux médias, ils ne sont bien souvent que des messages visant à nous imposer ce que nous avons à faire, à dire, à penser.
Dans son livre « Pas d'Enfant pour Athéna »3, Édith Vallée explore les chemins de vie que poursuivent les femmes pour se réaliser, constatant que la question n’est plus d’opter ou non pour la maternité, mais de choisir sa vie.
Au cours de sa conférence «Non Maternité : les mythes nous parlent », elle a prend l'exemple des déesses grecques. Parmi les douze divinités de l'Olympe, six femmes. Sur ces six femmes, trois n'ont pas d'enfants : Athéna, déesse de la guerre, de la sagesse, de la stratégie militaire, des artistes, artisans et maîtres d'école, Artémis, déesse de la chasse, et Hestia, déesse du feu sacré et du foyer. Ces déesses qui ont choisi de ne pas avoir d'enfants se sont épanouies ailleurs, guerrières ou maternantes, rassembleuses ou indépendantes.
Brigitte Liebecq démontre la réalité de cet épanouissement à travers la longue liste de femmes célèbres n'ayant pas eu d'enfant(s) dans son analyse « Et toi, tu as des enfants ? Incarner fécondité et féminité autrement que par la maternité »4. Parmi elles, citons Simone Weil, Simone de Beauvoir, Rosa Parks, Hannah Arendt ou encore Rosa Luxembourg.
Tout comme Édith Vallée, Brigitte Liebecq invite à une réflexion sur la singularité – et non pas le problème – du choix de ne pas avoir d'enfant(s), en dépassant les normes et les stéréotypes culpabilisants.
Nous avons la chance de vivre à une époque où la maternité est un choix, un droit, et non un devoir imposé par la loi, la culture ou l'absence de moyens de contraception. Or, je constate bien souvent que si l'on n'a pas de "bonnes raisons" de ne pas être mère (comme de sérieux problèmes de santé, par exemple), les gens se permettent de juger, d'insister, parfois très lourdement.
Le jugement, ce mur invisible entre celles « qui en ont » et celles « qui n'en ont pas » : radicalismes pour/contre dommages et dommageables, empêcheurs de choisir en rond.
La phrase « Je ne veux pas être mère » dans laquelle d'aucuns entendent volontiers « Je n'aime pas les enfants » entraîne bien souvent des questions auxquelles la nullipare est sommée de répondre, alors que la raison principale est peut-être aussi simple que celle qui nous pousse ou non à faire du saut à l'élastique, aimer telle ou telle œuvre d'art, ou apprécier un mets bien précis : on le « sent » ou on ne le « sent pas ».
Je ne demande à personne de suivre mon exemple. Je prétends juste à une chose qui me semble légitime, à savoir un minimum de respect, et le droit d'être vue, perçue comme une femme à part entière, une femme qui a un rôle à jouer au sein de la société, et non une demi-femme qui aurait raté sa vie.
Est-ce vraiment trop demander ?
A la lumière de ces conférences, je ne peux que ressasser l’idée que l’histoire est un éternel recommencement. Loin de moi l’idée du renoncement, seulement le monde a changé, il s’est globalisé et complexifié. La vigilance, la résistance et la lutte doivent être sur tous les fronts : droit des utérus ; anti-capitalisme ; luttes contre l’homophobie, le sexisme et le racisme. Derrière tout ça, cette saleté de patriarcat bien tenace, nom di dju !
Pourquoi sommes-nous si peu nombreuses (et quasi absents pour ce qui concerne la gente masculine) à cette journée de colloque? Pourquoi nous, les concerné-E-s, ne sommes pas plus représentées et sollicité-Es? Pendant de longues heures, j’étais un peu comment devant le téléviseur, à l’heure où les rédactions des chaines ont renoncé à faire un travail d’information pertinent, et servent tour à tour la soupe capitaliste, conservatrice, moralisatrice, progressiste, sans aucun regard critique …
Je suis assise, coite et passive, comme dans le cabinet de la gynéco.
L’Université devrait relever le défi et faire la nique à la tendance mainstream, patriarcale et hétéronormée. Pour ça, elle a des moyens, humains et financiers !
De tels colloques devraient avoir pour ambition, à la manière du blog Gyn&Co cité en début d’article, de tendre vers la construction de « communs » pour (ré)-inventer et produire des pratiques et travaux de recherche qui répondent aux enjeux actuels et complexes en matière de « Femmes et Santé ». Des « communs » qui prennent en compte toutes les parties concernées par la chose, et en première ligne les femmes de tous âges, de tous bagage socio-économiques, de tous horizons, de toutes sexualités.
Pour cela, il s’agit d’abord d’identifier, de nommer et de déjouer les mécanismes de pouvoirs économiques, religieux, laïques, politiques biaisant un champ de recherche qui devrait être absolument débarrassé du joug patriarcal pour l’intérêt de son objet : femmes, santé. Construire ce « commun » implique de favoriser la participation mais aussi la rencontre et la mise en débat des intervenant-E-s, des contenus et des auditrices/eurs venu-E-s de la société civile. Il faut induire des espaces de discussions entre les intervenant-E-s et avec le public, il faut modérer ces rencontres en tissant des liens, en fabricant des traits d’unions pour que résonnent les thèses, pour que ricochent, se répondent ou même achoppent les expériences, les analyses et les idées. Ce n’est que de cette manière que les défis de ce début de siècle pourront être relevés. Et si certain-E-s intervenant-E-s refusaient de participer à un tel dispositif, alors cela devrait être énoncé et constituerait en soi un précédent et un élément éclairant. Je pense que Virginia Woolf ne bouderait pas son pas son plaisir à nous rejoindre dans de telles entreprises.
Envoyez nous un email pour discuter du dossier, donner des nouvelles suggestions ou juste pour nous dire hello!